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L’ÉDUCATION MORALE.

de toute action volontaire a toujours quelque chose de pénible. En même temps, tout effort volonlaire est un germe d’énergie morale, une éducation, un commencement de constitution morale dans le sujet, abstraction faite de l’objet auquel il s’applique.

Pour bien se représenter l’énergie morale en ce qu’elle a de plus élémentaire, il faut se reporter à l’homme primitif, incapable de tout travail, de toute tension de la volonté qui n’est pas la détente mécanique produite par un besoin momentané, incapable enfin de toute attention de l’intelligence. Pour un tel homme, l’action qui n’est pas commandée sur l’heure même par un besoin, l’action qui implique une certaine part de réflexion, de calcul, une suite dans les idées, devient en quelque sorte méritoire. Tout acte qui a commencé par être une pensée ou un sentiment au lieu d’être la simple réponse à une sensation brute, tout ce qui s’élève au-dessus du simple acte réflexe, prend déjà par ce fait un caractère moral. Le Turc, avec son inertie orientale, aura déjà, aux yeux du moraliste, quelque mérite à réparer sa maison qui tombe en ruines, à combler une ornière devant sa porte, à presser sa marche grave pour secourir quelqu’un ou même dans une considération de simple intérêt. À plus forte raison l’homme primitif aura-t-il déployé une énergie morale rudimentaire en construisant sa première hutte, en fabriquant son premier outil. Dès que commence l’action préméditée, organisée, voulue dans ses parties successives, se montre déjà quelque élément d’art et de moralité, d’éducation personnelle. C’est que, avec la volonté poursuivant un but, naît aussitôt le sentiment de la peine, de la résistance à vaincre, et que le premier acte de moralité fut la peine supportée avec intention, la réalisation active et pénible d’une idée quelconque, si naïve et élémentaire qu’elle fût. La fonction la plus profonde et la plus simple en même temps de la vie morale, c’est de réaliser ainsi une idée ou un sentiment par un effort réfléchi.

Si toute action réfléchie exige un certain effort pour rompre l’équilibre intérieur, une certaine tension de la volonté, et si elle offre par cela même un caractère moral, il n’en est plus ainsi lorsque nous agissons en vertu d’un besoin immédiat, et d’autant moins que ce besoin est plus défini, plus présent et plus pressant, par exemple la soif ou la faim. L’équilibre intérieur s’est trouvé