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STOÏCISME ET CHRISTIANISME.

ils sont vrais selon qu’ils reproduisent plus ou moins bien le type de moralité essentielle que nous apercevons en nous ; leur vérité ne se reconnaît donc plus par l’expérience et la science physique, mais par la réflexion intérieure et la conscience morale ; c’est au sentiment de notre valeur morale et de notre dignité propre qu’il faut s’en référer pour fixer à chaque système sa valeur et sa dignité.

À quoi ont donc abouti ces longs efforts d’apologétique chrétienne tentés par Pascal pour rabaisser l’homme et lui enlever le sentiment de sa puissance véritable et de sa véritable grandeur, puisque c’est en s’appuyant sur ce sentiment même que Pascal évite enfin de tomber, comme il le dit, dans la « lâcheté » ?


En définitive, il ne faut pas se rabaisser soi-même dans sa propre pensée, de peur de se rabaisser aussi dans ses actions. Il faut s’estimer soi-même pour agir bien, et l’acte moral ne fait qu’exprimer ce respect de soi.

On peut, sur ce point, au scepticisme de Pascal et de Montaigne opposer encore le stoïcisme d’Épictète. — Chaque homme, disait ce dernier, se fixe à soi-même son prix ; chacun ne vaut que ce qu’il croit et veut valoir. — Et Pascal lui-même, alors qu’il s’efforce d’abaisser et de « ruiner » la pensée humaine, ne la sent-il pas sans cesse en lui se relever et reprendre conscience de sa dignité ? C’est cette dignité humaine qu’il affirme souvent avec tant de force dans les Pensées. Il se demande quelque part pourquoi Dieu a donné, a commandé à l’homme la prière ; et il répond avec profondeur : « Pour lui laisser la dignité de la causalité. » Mais si celui qui demande des biens par la prière possède déjà la dignité de la causalité, que sera-ce de celui qui. par la volonté morale, les tire de soi ? et si causer ainsi soi-même ses propres biens, c’est l’essence de la prière, ce qui rapproche l’homme de Dieu, ce qui l’élève à lui, ne pourra-t-on dire que la plus désintéressée et la plus sainte, la plus humaine et la plus divine des prières, c’est l’acte moral ?

Selon Pascal, il est vrai, l’acte moral supposerait deux termes : — le devoir, le pouvoir, — et l’homme ne peut pas toujours ce qu’il doit. Pourtant, l’homme n’eût-il aucun pouvoir pour réaliser le bien objectivement, il serait toujours capable de le réaliser en sa volonté ; lors même