Page:Guyau - Éducation et Hérédité.djvu/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
292
L’ÉDUCATION MORALE.

que d’autre part tout ce qui arrive, étant rationnel, est en soi-même un bien.


Loin donc que, comme le voudrait Pascal, l’homme puisse aller tout d’un coup vers Dieu, les stoïciens croient qu’il doit d’abord rentrer en soi pour y contempler et y honorer la divinité qui y habite : ἐν σαατῶ φέρεις Θέον (ii, viii). C’est seulement après ce retour sur soi que l’homme pourra lever ses regards vers le grand Dieu. Sinon, plaçant le mal dans les choses extérieures, à chaque douleur, à chaque opinion fâcheuse qui se présenterait, il accuserait Dieu. « Comment observer alors ce que je lui dois ? Car, si l’on me fait du tort, et si je suis malheureux, c’est qu’il ne s’occupe pas de moi. Et qu’ai-je affaire de lui, s’il ne peut pas me secourir ? » (Épictète, Entretiens, I, xxiii.) Pour Épictète, en un mot, la connaissance de l’homme et de ses devoirs précède la connaissance de Dieu et de ses attributs : la morale soutient la religion. Selon le philosophe stoïcien, la morale pourrait à la rigueur se passer de la religion ; la religion ne peut se passer de la morale : il faut d’abord être philosophe avant d’être pieux : seul l’homme de bien, dit Marc-Aurèle, est le prêtre et le ministre de la Divinité.

On le voit, Pascal, comme M. de Saci va le lui dire, tourne en son sens et accommode trop à sa pensée les auteurs qu’il commente.

Lorsque d’Épictète Pascal passe à Montaigne, il semble qu’il se retrouve bien plus à l’aise. Le stoïcisme, en effet, cause une certaine gêne à Pascal : cet esprit « si élevé de lui-même », comme l’appelle Fontaine, devait craindre plus qu’aucun autre de se laisser aller à la « superbe » stoïque. Aussi coule-t-il légèrement sur Épictète, de peur sans doute, comme il dirait, « d’y enfoncer en appuyant. » Mais une fois arrivé à Montaigne, comme il insiste ! Tout ce qui était gracieusement mêlé et brouillé dans son auteur prend du relief sous sa main ; tout devient distinct et saillant. C’est d’abord ce doute de Montaigne, dont Montaigne lui-même voudrait bien faire seulement une « forme naïve », un trait passager de ses « conditions et humeurs », mais qui, dans Pascal, éclate et nous apparaît comme si universel et si général qu’il s’emporte soi-même, c’est-à-dire s’il doute : — « Sur ce principe, dit Pascal,