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STOÏCISME ET CHRISTIANISME.

tendent la main : non sunt dii fastidiosi, a dit admirablement Sénèque, non sunt invidi ; admittunt et ascendentibus manum porrigunt[1]. Comme le sage comprend et aime « l’intelligence très bonne » qui a disposé toutes choses, il comprend et admire le monde même, œuvre visible de cette intelligence invisible. Et puisque tout est lié dans ce monde, puisque chaque chose « est dans un harmonieux concert avec l’ensemble[2] », il approuve, il aime ce qui arrive : quæcumque fiunt, avait déjà dit Sénèque, debuisse fieri putet, nec velit objurgare Naturani ; decernuntur ista, non accidunt. Le sage va au devant du destin, et s’offre à lui : prœbet se fato[3]. Il se dévoue au Tout. S’il pouvait, dit Épictète, embrasser l’avenir, il « travaillerait lui-même à sa maladie, à sa mort, à sa mutilation, sachant que l’ordre du Tout le veut ainsi. » Bien plus il y travaillerait gaiement, car le monde est une grande fête dont il ne faut pas troubler la joie[4]. « Je dis au monde : J’aime ce que tu aimes, donne-moi ce que tu veux, reprendsmoi ce que tu veux… Tout ce qui t’accommode, ô monde, m’accommode moi-même. Rien n’est pour moi prématuré ou tardif qui est de saison pour toi. Tout ce que m’apportent les heures est pour moi un fruit savoureux, ô Nature[5]. »




  1. Epist. ad Luc, 73.
  2. Marc-Aurèle, III, ii.
  3. Sénèque, Epist. 96, 107.
  4. Entretiens, IV, i.
  5. Marc-Aurèle, X, 21, IV, 23.