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L’ÉDUCATION MORALE.

rivière. — Et son fils qui rassembla ses troupes et le tailla en pièces, comment l’appelle-t-on ?… L’étrange histoire ! dit Semka. — Mtislav, Tchislav ?… À quoi sert-elle ? Le diable la comprenne ! » — Ceux qui ont bonne mémoire essayaient de tenir encore, et disaient, il est vrai, des choses justes, pour peu qu’on les soufflât. Mais tout cela était tellement monstrueux, et ces enfants faisaient peine à voir : ils étaient tous « comme des poules à qui l’on jette d’abord du grain, puis tout à coup du sable, et qui se voient perdues, et gloussent et se démènent, prêtes à se plumer l’une l’autre ». Mettez Clotaire, Lothaire, Chilpéric à la place de Tchislav et de Mstislav, et vous aurez une scène d’école en France.

Le goût de l’histoire, selon Tolstoï, se manifeste chez la plupart des enfants après le goût de l’art. Tolstoï fit encore d’autres essais d’enseignement de l’histoire en commençant par notre époque, et trouva, nous dit-il, des procédés fort satisfaisants. Il leur disait la campagne de Crimée, le règne de rempereur Nikolaï, l’histoire de 1812. Le plus grand succès, comme il fallait s’y attendre, fut pour le récit de la guerre avec Napoléon. « Cette classe est restée, dit Tolstoï, l’un des moments mémorables de ma vie. » Dès qu’il eut montré le théâtre de la lutte reporté en Russie, de tous côtés partirent des exclamations, des paroles de vif intérêt. — « Quoi donc ! il va nous conquérir aussi ? — N’aie pas peur, Alexandre lui rendra la pareille, » dit un autre qui savait l’histoire d’Alexandre. Tolstoï dut les désenchanter ; « le temps n’était pas encore arrivé. » Ce qui les indignait, c’est qu’on voulût donner à Napoléon la sœur du czar en mariage, et que le czar s’entretînt avec lui d’égal à égal sur le pont. — Attends ! disait Petka avec un geste de menace. — Allons ! allons ! raconte !… Lorsque Alexandre refusa de se soumettre, c’est-à-dire déclara la guerre, tous les élèves exprimèrent leur approbation. Lorsque Napoléon, avec douze nations, marcha sur la Russie, soulevant l’Allemagne, la Pologne, tous furent bouleversés.

L’élève allemand se trouvait dans la pièce. — « Ah ! vous aussi, contre nous ? lui dit Petka (le meilleur conteur). — Allons, tais-toi ! crièrent les autres. La retraite des troupes russes fit souffrir les auditeurs ; de tous côtés partaient des : pourquoi ? des : comment ? On injuriait Koutouzov et Barklaï. — Ton Koutouzov est pitoyable ! — Attends un peu ! disait un autre. — Mais