Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/323

Cette page a été validée par deux contributeurs.

le rencontrer. Et elle se sentait plus seule dans cette foule agitée, plus perdue, plus misérable qu’au milieu des champs déserts.

Quand elle rentra, le soir, à l’hôtel, on lui dit qu’un homme l’avait demandée de la part de M. Paul et qu’il reviendrait le lendemain. Un flot de sang lui jaillit au cœur et elle ne ferma pas l’œil de la nuit. Si c’était lui ? Oui, c’était lui assurément, bien qu’elle ne l’eût pas reconnu aux détails qu’on lui avait donnés.

Vers neuf heures du matin on heurta sa porte, elle cria : « Entrez ! » prête à s’élancer, les bras ouverts. Un inconnu se présenta. Et, pendant qu’il s’excusait de l’avoir dérangée, et qu’il expliquait son affaire, une dette de Paul qu’il venait réclamer, elle se sentait pleurer sans vouloir le laisser paraître, enlevant les larmes du bout du doigt, à mesure qu’elles glissaient au coin des yeux.

Il avait appris sa venue par la concierge de la rue du Sauvage, et, comme il ne pouvait retrouver le jeune homme, il s’adressait à la mère. Et il tendait un papier qu’elle prit sans songer à rien. Elle lut un chiffre : 90 francs, tira son argent et paya.

Elle ne sortit pas ce jour-là.

Le lendemain d’autres créanciers se présentèrent. Elle donna tout ce qui lui restait, ne réservant qu’une vingtaine de francs ; et elle écrivit à Rosalie pour lui dire sa situation.

Elle passait ses jours à errer, attendant la réponse de sa bonne, ne sachant que faire, où tuer les heures lugubres, les heures interminables, n’ayant personne à qui dire un mot tendre, personne qui connût sa misère. Elle allait au hasard, harcelée à présent par un