Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/300

Cette page a été validée par deux contributeurs.

doigts dans la poussière accumulée ; et elle demeurait là au milieu de ces vieilleries, sous le jour terne qui tombait par quelques petits carreaux de verre encastrés dans la toiture.

Elle examinait minutieusement des chaises à trois pieds, cherchant si elles ne lui rappelaient rien, une bassinoire en cuivre, une chaufferette défoncée qu’elle croyait reconnaître et un tas d’ustensiles de ménage hors de service.

Puis elle fit un lot de ce qu’elle voulait emporter, et, redescendant, elle envoya Rosalie le chercher. La bonne indignée refusait de descendre « ces saletés ». Mais Jeanne, qui n’avait cependant plus aucune volonté, tint bon cette fois ; et il fallut obéir.

Un matin le jeune fermier, fils de Julien, Denis Lecoq, s’en vint avec sa charrette pour faire un premier voyage. Rosalie l’accompagna afin de veiller au déchargement et de déposer les meubles aux places qu’ils devaient occuper.

Restée seule, Jeanne se mit à errer par les chambres du château, saisie d’une crise affreuse de désespoir, embrassant, en des élans d’amour exalté, tout ce qu’elle ne pouvait prendre avec elle, les grands oiseaux blancs des tapisseries du salon, des vieux flambeaux, tout ce qu’elle rencontrait. Elle allait d’une pièce à l’autre, affolée, les yeux ruisselants de larmes ; puis elle sortit pour « dire adieu » à la mer.

C’était vers la fin de septembre, un ciel bas et gris semblait peser sur le monde ; les flots tristes et jaunâtres s’étendaient à perte de vue. Elle resta longtemps debout sur la falaise, roulant en sa tête des pensées torturantes. Puis, comme la nuit tombait, elle rentra,