Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/276

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ner, en fumant une cigarette, elle ouvrait la fenêtre pour lui crier : « Ne sors pas nu-tête, je t’en prie, tu vas attraper un rhume de cerveau. »

Et elle frémissait d’inquiétude quand il repartait à cheval dans la nuit : « Surtout ne va pas trop vite, mon petit Poulet, sois prudent, pense à ta pauvre mère qui serait désespérée s’il t’arrivait quelque chose. »

Mais voilà qu’un samedi matin elle reçut une lettre de Paul annonçant qu’il ne viendrait pas le lendemain parce que des amis avaient organisé une partie de plaisir à laquelle il était invité.

Elle fut torturée d’angoisse pendant toute la journée du dimanche comme sous la menace d’un malheur ; puis, le jeudi, n’y tenant plus, elle partit pour le Havre.

Il lui parut changé sans qu’elle se rendît compte en quoi. Il semblait animé, parlait d’une voix plus mâle. Et soudain il lui dit, comme une chose toute naturelle : « Sais-tu, maman, puisque tu es venue aujourd’hui, je n’irai pas aux Peuples dimanche prochain, parce que nous recommençons notre fête. »

Elle resta toute saisie, suffoquée comme s’il eût annoncé qu’il partait pour le nouveau monde ; puis, quand elle put enfin parler : « Oh ! Poulet, qu’as-tu ? dis-moi, que se passe-t-il ? » Il se mit à rire et l’embrassa : « Mais rien de rien, maman. Je vais m’amuser avec des amis, c’est de mon âge. »

Elle ne trouva pas un mot à répondre, et, quand elle fut toute seule dans la voiture, des idées singulières l’assaillirent. Elle ne l’avait plus reconnu son Poulet, son petit Poulet de jadis. Pour la première fois elle s’apercevait qu’il était grand, qu’il n’était plus à