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du potager où il élevait avec un soin extrême Laitues, Romaines, Chicorées, Barbes de capucin, Royales, toutes les espèces connues de ces feuilles comestibles. Il bêchait, arrosait, sarclait, repiquait, aidé de ses deux mères qu’il faisait travailler comme des femmes de journée. On les voyait pendant des heures entières à genoux dans les plates-bandes, maculant leurs robes et leurs mains occupées à introduire la racine des jeunes plantes en des trous qu’elles creusaient d’un seul doigt piqué d’aplomb dans la terre.

Poulet devenait grand, il atteignait quinze ans ; et l’échelle du salon marquait un mètre cinquante-huit, mais il restait enfant d’esprit, ignorant, niais, étouffé entre ces deux jupes et ce vieil homme aimable qui n’était plus du siècle.

Un soir enfin le baron parla du collège ; et Jeanne aussitôt se mit à sangloter. Tante Lison effarée se tenait dans un coin sombre.

La mère répondait : « Qu’a-t-il besoin de tant savoir ? Nous en ferons un homme des champs, un gentilhomme campagnard. Il cultivera des terres comme font beaucoup de nobles. Il vivra et vieillira heureux dans cette maison où nous aurons vécu avant lui, où nous mourrons. Que peut-on demander de plus ? »

Mais le baron hochait la tête. « Que répondras-tu s’il vient te dire, lorsqu’il aura vingt-cinq ans : Je ne suis rien, je ne sais rien par ta faute, par la faute de ton égoïsme maternel. Je me sens incapable de travailler, de devenir quelqu’un, et pourtant je n’étais pas fait pour la vie obscure, humble, et triste à mourir, à laquelle ta tendresse imprévoyante m’a condamné. »