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seuls la solitude du vieux château. Jeanne, depuis le meurtre de la chienne et les soupçons que lui avait inspirés le prêtre lors de la mort horrible de la comtesse et de Julien, n’entrait plus à l’église, irritée contre le Dieu qui pouvait avoir de pareils ministres.

L’abbé Tolbiac, de temps à autre, anathématisait en des allusions directes le château hanté par l’Esprit du Mal, l’Esprit d’Éternelle Révolte, l’Esprit d’Erreur et de Mensonge, l’Esprit d’Iniquité, l’Esprit de Corruption et d’Impureté. Il désignait ainsi le baron.

Son église d’ailleurs était désertée ; et, quand il allait le long des champs où les laboureurs poussaient leur charrue, les paysans ne s’arrêtaient pas pour lui parler, ne se détournaient point pour le saluer. Il passait en outre pour sorcier, parce qu’il avait chassé le démon d’une femme possédée. Il connaissait, disait-on, des paroles mystérieuses pour écarter les sorts, qui n’étaient, selon lui, que des espèces de farces de Satan. Il imposait les mains aux vaches qui donnaient du lait bleu ou qui portaient la queue en cercle, et par quelques mots inconnus il faisait retrouver les objets perdus.

Son esprit étroit et fanatique s’adonnait avec passion à l’étude des livres religieux contenant l’histoire des apparitions du Diable sur la terre, les diverses manifestations de son pouvoir, ses influences occultes et variées, toutes les ressources qu’il avait, et les tours ordinaires de ses ruses. Et comme il se croyait appelé particulièrement à combattre cette Puissance mystérieuse et fatale, il avait appris toutes les formules d’exorcisme indiquées dans les manuels ecclésiastiques.