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cependant. Elle se sentait faible, faible. Elle ouvrit les yeux, et ne s’étonna pas de voir petite mère assise dans sa chambre, avec un gros homme qu’elle ne connaissait point.

Quel âge avait-elle ? elle n’en savait rien et se croyait toute petite fille. Elle n’avait, non plus, aucun souvenir.

Le gros homme dit : « Tenez, la connaissance revient. » Et petite mère se mit à pleurer. Alors le gros homme reprit : « Voyons, soyez calme, madame la baronne, je vous dis que j’en réponds maintenant. Mais ne lui parlez de rien, de rien. Qu’elle dorme. »

Et il sembla à Jeanne qu’elle vivait encore très longtemps assoupie, reprise par un pesant sommeil dès qu’elle essayait de penser ; et elle n’essayait pas non plus de se rappeler quoi que ce soit, comme si, vaguement, elle avait eu peur de la réalité reparue en sa tête.

Or, une fois, comme elle s’éveillait, elle aperçut Julien, seul près d’elle ; et brusquement, tout lui revint, comme si un rideau se fût levé qui cachait sa vie passée.

Elle eut au cœur une douleur horrible et voulut fuir encore. Elle rejeta ses draps, sauta par terre et tomba, ses jambes ne la pouvant plus porter.

Julien s’élança vers elle ; et elle se mit à hurler pour qu’il ne la touchât point. Elle se tordait, se roulait. La porte s’ouvrit. Tante Lison accourait avec la veuve Dentu, puis le baron, puis enfin petite mère arriva soufflant, éperdue.

On la recoucha ; et aussitôt elle ferma les yeux sournoisement pour ne point parler et pour réfléchir à son aise.