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à Paris. Je veux prendre des gens du pays. Je viens ici pour travailler dans un isolement absolu.

— Oh ! vous l’aurez, à cette époque de l’année.

Quelques minutes plus tard, un landau découvert emportait Mariolle et ses malles vers Montigny.

La forêt s’éveillait. Au pied des grands arbres, dont les têtes se couvraient d’une ombre légère de feuillage, les taillis étaient plus touffus. Les bouleaux hâtifs, aux membres d’argent, semblaient seuls habillés déjà pour l’été, tandis que les chênes immenses montraient seulement, au bout de leurs branches, de légères taches vertes tremblotantes. Les hêtres, ouvrant plus vite leurs bourgeons pointus, laissaient tomber leurs dernières feuilles mortes de l’autre année.

Le long de la route, l’herbe, que ne couvrait point encore l’ombre impénétrable des cimes, était drue, luisante, vernie de sève nouvelle ; et cette odeur de pousses naissantes, déjà perçue par Mariolle dans l’avenue des Champs-Élysées, l’enveloppait maintenant, le noyait dans un immense bain de vie végétale germant sous le premier soleil. Il respirait par grandes haleines, comme un libéré qui sort de prison, et, avec la sensation d’un homme dont on vient de rompre les liens, il étendit mollement ses deux bras sur les deux côtés du landau, laissant pendre ses mains au-dessus des deux roues.

C’était bon d’aspirer ce grand air libre et pur ; mais comme il en devrait boire, et boire encore,