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attendait, l’attira près d’une vitrine pour lui montrer un objet inestimable, un encrier d’argent, pièce cotée, classée, historique, ciselée par Benvenuto Cellini.

Ce fut une espèce d’ivresse qui s’empara du sculpteur. Il contemplait cela comme on regarde le visage d’une maîtresse, et, saisi d’attendrissement, il énonça, sur l’œuvre de Cellini, des idées gracieuses et fines comme l’art du divin ciseleur ; puis, sentant qu’on l’écoutait, il se livra tout entier, et, assis sur un grand fauteuil, tenant et regardant sans cesse le bijou qu’on venait de lui présenter, il raconta ses impressions sur toutes les merveilles d’art connues par lui, mit à nu sa sensibilité, et rendit visible l’étrange griserie que la grâce des formes faisait entrer par ses yeux dans son âme. Pendant dix ans il avait parcouru le monde en ne regardant que du marbre, de la pierre, du bronze et du bois sculptés par des mains géniales, ou bien de l’or, de l’argent, de l’ivoire et du cuivre, vagues matières métamorphosées en chefs-d’œuvre sous les doigts de fées des ciseleurs.

Et lui-même il sculptait en parlant, avec des reliefs surprenants et de délicieux modelés obtenus par la justesse des mots.

Les hommes, debout autour de lui, l’écoutaient avec un intérêt extrême, tandis que les deux femmes, assises près du feu, paraissaient s’ennuyer un peu et causaient à voix basse, de temps en temps, décon-