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Mariolle tressaillit d’angoisse. Pas une fois elle n’était accourue à lui avec cette brusquerie heureuse ; jamais elle ne l’avait embrassé ainsi ; et par un revirement subit de sa pensée : « Ces femmes-là ne sont plus faites pour nous, » se dit-il avec fureur.

Massival parut, puis derrière lui M. de Pradon, le comte de Bernhaus, puis Georges de Maltry, resplendissant de chic anglais.

On n’attendait plus que Lamarthe et Prédolé. On parla du sculpteur, et toutes les voix formulèrent des éloges.

« Il avait ressuscité la grâce, retrouvé la tradition de la Renaissance avec quelque chose de plus : la sincérité moderne ; c’était, d’après M. Georges de Maltry, l’exquis révélateur de la souplesse humaine. » Ces phrases, depuis deux mois, couraient tous les salons, allaient de toutes les bouches à toutes les oreilles.

Il parut enfin. On fut surpris. C’était un gros homme d’un âge indéterminable, avec des épaules de paysan, une forte tête aux traits accentués, couverte de cheveux et de barbe grisâtres, un nez puissant, des lèvres charnues, l’air timide et embarrassé. Il portait ses bras un peu loin du corps, avec une sorte de gaucherie, attribuable sans doute aux énormes mains qui sortaient des manches. Elles étaient larges, épaisses, avec des doigts velus et musculeux, des mains d’hercule ou de boucher ; et elles semblaient maladroites, lentes, gênées d’être là, impossibles à cacher.