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Mars est presque moitié plus petit que le nôtre ; sa surface n’a que les vingt-six centièmes de celle du globe, son volume est six fois et demie plus petit que celui de la Terre et la vitesse de ses deux satellites prouve qu’elle pèse dix fois moins que nous. Or, monsieur, l’intensité de la pesanteur dépendant de la masse et du volume, c’est-à-dire du poids et de la distance de la surface au centre, il en résulte indubitablement sur cette planète un état de légèreté qui y rend la vie toute différente, règle d’une façon inconnue pour nous les actions mécaniques et doit y faire prédominer les espèces ailées. Oui, monsieur, l’Être Roi sur Mars a des ailes. Il vole, passe d’un continent à l’autre, se promène, comme un esprit autour de son univers auquel le lie cependant l’atmosphère qu’il ne peut franchir, bien que……

Enfin, monsieur, vous figurez-vous cette planète couverte de plantes, d’arbres et d’animaux dont nous ne pouvons même soupçonner les formes et habitée par de grands êtres ailés comme on nous a dépeint les anges ? Moi je les vois voltigeant au-dessus des plaines et des villes dans l’air doré qu’ils ont là-bas. Car on a cru autrefois que l’atmosphère de Mars était rouge comme la nôtre est bleue, mais elle est jaune, monsieur, d’un beau jaune d’or !

Vous étonnez-vous maintenant que ces créatures-là aient pu creuser des canaux larges de cent kilomètres ? Et puis songez seulement à ce que la science a fait chez nous depuis un siècle… depuis un siècle… et dites-vous que les habitants de Mars sont peut-être bien supérieurs à nous…

Il se tut brusquement, baissa les yeux, puis murmura d’une voix très basse :

— C’est maintenant que vous allez me prendre pour un fou…… quand je vous aurai dit que j’ai failli les voir…… moi…… l’autre soir. Vous savez, ou vous ne savez pas, que nous sommes dans la saison des étoiles filantes. Dans la nuit du 18 au 19 surtout, on en voit tous les ans d’innombrables quantités. Il est probable que nous passons à ce moment-là à travers les épaves d’une comète. J’étais donc assis sur la Mane-Porte, sur cette énorme jambe de falaise qui fait un pas dans la mer, et je regardais cette pluie de petits mondes sur ma tête. Cela est plus amusant et plus joli qu’un feu d’artifice, monsieur. Tout à coup j’en aperçus un au-dessus de moi, tout près, un globe lumineux, transparent, entouré d’ailes immenses et palpitantes, ou du moins j’ai cru voir des ailes