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Je l’avouerai pourtant, il est possible que ces peintures de la nature normande aient pour moi un charme que ne sentiront pas au même degré ceux qui n’ont pas, dès l’enfance, respiré l’air humide de nos campagnes vertes et senti sur leur front la fraîcheur lourde de notre ciel varié ; tous les personnages, tous les aspects de ce conte délicieux, je crois les retrouver ; ce sont des connaissances de première jeunesse. Honnêtes petites villes endormies, dont Pont-l’Évêque est un échantillon, et qui retentissent seulement, dans la semaine, du cliquetis des sabots des bonnes femmes et des petits gars ; correctes veuves tricotant à la fenêtre de maisons immuables ; admirables servantes si dévouées et si bonnes cuisinières ; le progrès moderne, le chemin de fer et le Paris. Les bains de mer ne vous ont pas encore absolument supprimés ; rendez grâce au poète précis qui vient de fixer, avant qu’elles disparaissent sans retour, vos grâces discrètes, vos humbles mérites et vos silencieuses vertus !

Ce que j’ai dit plus haut de la puissance imaginative de M. Flaubert, du don qu’il possède de reconstruire les mondes disparus, s’applique aux deux récits qui complètent le présent volume : La Légende de Saint Julien l’Hospitalier, Hérodias. Au point de vue de l’exécution artistique, la Légende de Saint Julien est certainement une œuvre plus achevée ; mais Hérodias, dans un cadre plus étroit, est une tentative aussi originale que Salammbô.

L’auteur s’est proposé en effet de mettre en scène l’épisode de la décollation de saint Jean-Baptiste, en reconstituant cette cour singulière, ce monde composite groupé autour du Tétrarque de Judée, Hérode. Cette phase obscure de l’histoire juive a laissé, s’il se peut, encore moins de renseignements positifs que celle de Carthage. Le tableau de M. Flaubert, dans lequel il a rassemblé les éléments israélites, orientaux et romains s’agitent dans la forteresse du Tétrarque, est une merveille de divination. Il est possible que l’archéologie en soit discutable ; l’animation et le coloris du tableau frapperont néanmoins tous les yeux.

Je ne suis pas, tant s’en faut, on s’en aperçoit, un adversaire