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eux-mêmes sont ordinaires et sans éclat. La vie poursuit son cours monotone, Mme  Aubain meurt, Félicité reste dans la maison vide, qui ne trouve pas d’acquéreur ; elle meurt à son tour pendant que la procession de la Fête-Dieu, grand événement annuel dans Pont-l’Évêque, s’arrête au reposoir adossé à la maison et que la bénédiction du curé monte à sa mansarde ouverte.

Et puis c’est tout ! Voilà le romanesque de ce simple récit. Avec cela, avec cette donnée d’une si correcte banalité, M. Flaubert a fait un chef-d’œuvre de vie, d’émotion, et j’ajoute d’élévation morale.

Non ! certes il n’est pas besoin pour captiver l’intérêt de mettre en scènes des seigneurs et des reines, de faire passer sous nos yeux des tableaux d’un monde éblouissant. J’accepte sans m’en plaindre l’inclination des réalistes pour les humbles et pour les simples, mais pour que l’intérêt s’attache à ces existences absolument intérieures, dans lesquelles le train vulgaire des choses n’apporte aucune variété, il est indispensable que le peintre soit doué d’une pénétration profonde et qu’il démêle avec un tact raffiné la psychologie de ces âmes naïves.

C’est là surtout ce qui me semble au niveau des plus grands éloges dans le récit de M. Flaubert ; il explique avec une perspicacité admirable le jeu des pensées et des sentiments de son modèle, il montre de la façon la plus délicate l’association de ses idées, phénomène aussi attrayant, aussi difficile à saisir dans l’âme d’une paysanne que dans le cerveau du philosophe le plus cultivé. Je citerai un seul exemple de cet art consommé ; l’auteur dépeint la naissance et le développement des sentiments religieux dans le cœur simple de Félicité, accompagnant au catéchisme la fille de sa maîtresse :

Cette même pénétration, dans laquelle se combinent l’exactitude et la poésie, M. Flaubert l’applique à la nature. Est-il possible d’en reproduire avec plus de précision les aspects et en même temps d’en mieux deviner la saveur secrète, la grâce fuyante, l’ondoiement ? Réaliste tant qu’on voudra, mais réaliste de la famille d’Hobema, le peintre, et de Burus, le poète.