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le diable.

Point de pitié ! La miséricorde ne descendra pas sur un pécheur tel que toi.

antoine
priant.

Ah ! Jésus ! Fils de Dieu, qui es Dieu, et Dieu comme le Père, Dieu comme le Saint-Esprit !… vous êtes Un !…

le diable.

Je suis plusieurs ! Je m’appelle Légion.

antoine.

Tu as envoyé ton Fils…

le diable.

Un autre viendra !

antoine.

… pour établir ton église !

le diable.

Il la renversera !

Le Diable, se posant derrière saint Antoine, lui crie dans les oreilles, si fortement qu’Antoine, à genoux, se courbe comme un roseau, tantôt tombant sur les poignets, puis se relevant, mais continuant toujours sa prière, tandis que le diable dit :

Il naîtra dans Babylone et d’une vierge aussi, d’une vierge consacrée au Seigneur, qui aura forniqué avec son père. Il se fera circoncire parmi les Juifs. Il rétablira le temple. Il convertira d’abord des proconsuls, des princes, des rois, l’empereur de Taprobane, la reine de Scythie et trois papes l’un après l’autre. Il enverra ses messagers sur toutes les routes, ses prophètes à toutes les nations, ses soldats contre toutes les villes.

Il sera beau. Les femmes délireront à cause de lui.

Il gorgera les foules. On s’endormira sur les portes, l’estomac plein jusqu’aux dents. Il assouvira la luxure du luxurieux, la cupidité de l’avarice, la convoitise de l’œil, le ventre jaloux. Il exaltera les forts et il abaissera les humbles. Il tuera les fidèles avec l’épée, il les assommera avec des massues, il les broiera avec