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sur la main, la Pensée dans les yeux, et, des deux côtés de ma tête, retombait ma chevelure comme la végétation libre de ce monde idéal. J’étais si grand que je frôlais mon crâne aux poutres de la toiture… Ah ! fils de Charmidès, l’humanité, n’est-ce pas ? ne pouvait monter plus haut ! Dans la barrière bleue de Panoenus tu as enfermé pour toujours son plus sublime effort, et c’est aux dieux maintenant à descendre vers elle.

J’en vois venir qui sont pâles pour satisfaire la douleur des peuples ennuyés. Ils arrivent des pays malsains, couverts de haillons et poussant des sanglots. Moi je ne suis pas, comme eux, né pour vivre sous des ciels froids, avec des langues barbares, en des temples sans statues. Attaché par les pieds au sol antique, je m’y dessécherai sans en sortir. Je n’ai même point bougé, quand l’empereur Caïus voulait m’avoir, et les architectes entendirent éclater, dans mon socle, un grand rire, aux efforts qu’ils faisaient.

Tout entier pourtant, je ne descendrai pas dans le Tartare. Quelque chose de moi restera sur la terre. Ceux en effet que pénètre l’Idée, qui comprennent l’Ordre et chérissent le Grand, ceux-là, de quelque dieu qu’ils descendent, seront toujours les fils de Jupiter.

junon
la couronne en tête, avec des bottines d’or à pointes recourbées, couverte d’un voile semé d’étoiles d’argent, portant une grenade dans une main et de l’autre un sceptre surmonté d’un coucou.

Où vas-tu ? Arrête-toi ! Qu’y a-t-il donc ? Encore un amour, sans doute ? insensé qui perd sa force et qui ne sait pas que les mortels s’enflent d’orgueil, à découvrir chaque matin, sur leur oreiller, les cheveux de Jupiter !

Notre vie pourtant était si douce, dans l’équilibre obligé de nos discordes et de nos amours. Diverse et magnifique, elle demeurait immuable comme la terre, avec ses océans en ouvement et ses plaines immobiles. Oh ! reviens ! fils de Saturne ! Nous nous coucherons sur l’Ida, et, cachés par les nuages, au sein d’une atmosphère vermeille, de mes bras blancs j’entourerai ton cou, je sourirai sous toi ; je passerai mes doigts dans les boucles de ta barbe et je réjouirai ton cœur, ô père des dieux. Ai-je perdu ma chevelure brune, mes grands yeux, mon cothurne d’or ? N’est-ce pas pour te plaire, que chaque année je refais ma virginité dans la fontaine Canathus ? Ne suis-je plus belle ? Me trouverait-il vieille ?

Quoi ? plus de bruit ! Je vais, je viens, je cours dans l’Olympe. Tous sont endormis. Écho même semble mort !