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Qu’est-ce donc ? je vois des hommes rouges qui apportent des charbons, avec des couteaux, et qui retroussent leurs bras !

le diable.

Bel Epaphus, ils t’égorgeront, ils te dévoreront, te tanneront et l’on battra les esclaves avec tes jarrets desséchés.

Apis s’en va tout en boitant et en mugissant.
antoine
regardant le Diable.

Eh bien ?

Le Diable se tait ; mais alors paraissent à la file l’un de l’autre, et se suivant immédiatement, comme les personnages d’une frise, trois couples de dieux, Uranus avec la Terre, Saturne avec Rhéa, Jupiter avec Junon.
Antoine, étonné, reprend :

Encore !

le diable.

Oui, toujours !

uranus
couronné d’étoiles pâlissantes. Il traîne la Terre par la main et laisse couler, de dessous lui, des gouttes de sang.

Fuyons ! Quelque chose a rompu le fil qui liait les destinées des hommes aux mouvements des astres. Saturne m’a mutilé, et la figure de Dieu n’apparaît plus dans le disque du soleil.

la terre
en cheveux blancs, suivant Uranus.

J’avais des forêts mystérieuses, j’avais des océans démesurés, j’avais des montagnes inaccessibles. Dans les eaux noires, vivaient des bêtes dangereuses, et l’haleine des marécages se balançait sur ma figure, comme un voile sombre.

Terrible d’énergies, enivrante de parfums, éblouissante de couleurs, immense ! Ah ! j’étais belle quand je sortis toute échevelée de la couche du Chaos !

L’homme alors pâlissait au bruit de mes abîmes, à la voix des animaux, aux éclipses de la lune. Il se roulait sur mes fleurs, il grimpait dans mes feuillages, il ramassait sur les grèves les perles blondes et les coquilles contournées. À la fois Nature et