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passer des formes confuses, plus insaisissables que des fumées, puis des pierres, des peaux de bêtes, des fragments de métal, des morceaux de bois, et un grand arbre touffu qui marche tout droit sur ses racines : un bracelet d’or entoure son tronc rugueux. Des chapelets, des coquilles et des médailles sont suspendus à ses rameaux. Des peuples, au front déprimé, se traînent sur les genoux en lui envoyant des baisers.
La Mort lève le bras et, d’un coup de fouet, frappe le grand arbre : il disparaît.
Puis, sur des traîneaux qui glissent, passent
des idoles
noires, blanches, vertes, violettes, faites de bois, d’argent, de cuivre, de pierre, de marbre, de paille et d’argile, d’ardoises et d’écailles de poisson. Elles ont de gros yeux, de grosses narines, des étendards fichés dans le ventre, des bras qui traînent, des phallus monstrueux leur dépassant la tête. Le jus des viandes coule dans leurs barbes, elles suintent l’huile des sacrifices, et, de leurs lèvres entr’ouvertes, s’échappent des tourbillons d’encens.
Elles bégaient comme si elles voulaient parler :

Bâ, — bâ, — bâ, — bâ !

la mort
les frappant.

À d’autres !

Alors arrivent à la fois les cinq idoles d’avant le déluge : Sawa à figure de femme, Yaghüth à figure de lièvre, Yauk à figure de cheval, Nasr à figure d’aigle, Waad à figure d’homme, ruisselantes d’eau de mer et avec des varechs comme des chevelures qui leur ont poussé sur la tête. La Mort fait claquer son fouet : elles s’abattent.
Passent ensuite la grande idole de Sérandib toute couverte d’escarboucles ; elle a des nids d’hirondelles dans les trous de ses yeux. Puis l’idole de Soumenat, de quatre cents palmes de hauteur, toute en fer, et qui se tenait suspendue à des murs d’aimant. Sa taille trop haute se renversant craque et se brise d’elle-même. Puis une idole nègre qui, sous un feuillage d’or, sourit d’un air stupide. Posée sur le pied gauche, dans l’attitude d’un homme qui danse, elle porte à son cou un collier de fleurs rouges et elle souffle toujours la même note dans un bambou creux. Puis l’idole bleue de la Bactriane incrustée de nacre…

Plus vite ! plus vite !

Puis l’idole de Tartarie, statue d’homme en agate verte, qui dans sa main d’argent tient sept flèches sans plumes.

Allons donc !