Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/576

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la courtisane.

Qui donc soupire dehors, Lampito ?

lampito.

Personne, maîtresse !… Sans doute les tourterelles qui roucoulent sur la terrasse.

le faux antoine.

Si j’entrais ?…

lampito.

Tu buvais du mendès dans les coupes carchésiennes. Tu t’asseyais sur les genoux des grands, et chacun, te prenant par la taille, voulait que tu dises quelque chose. — Les philosophes échauffés dissertaient sur le beau, les peintres, avec de grands gestes, s’ébahissaient de ton profil, et les poètes, pâlissant, se sentaient frissonner sous leurs tuniques.

Ce ne sont pas des Barbares qui peuvent non plus t’applaudir, lorsque tu t’allonges comme un nageur sur l’épigonion aux quarante cordes d’or, ou quand, sous l’archet d’ivoire, ronfle ta cithare creuse, et que ta bouche aux doux accents s’ouvre pour les mélodies de la Muse. Ô Démonassa ! toi qui as les sourcils courbes comme l’arc d’Apollon et dont le visage est beau comme la mer tranquille, tu n’auras plus les longues Thesmophories se déroulant avec des chœurs sur le chemin d’Éleusis, ni le théâtre de Bacchus qui glapit de la voix des mimes, ni le port où l’on se promène les soirs !…

la courtisane.

Mais, Lampito, quelqu’un frappe à la porte !

lampito.

Non maîtresse !… c’est l’auvent qui bat contre le mur.

le faux antoine
tenant le marteau.

Mes genoux tremblent, je n’oserai.

la courtisane
se promenant sous les colonnes la tête basse, les bras pendants.

Hélas ! hélas ! il faut partir !… Adieu les longues causeries de