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antoine.

Au nom du Christ ! Au nom de la Vierge ! par la vertu de tous les anges…

les montanistes.

Non ! tu ne nous chasseras pas ! Zotime de Comane a été vaincu par Maximilla. Sotas, évêque d’Anquiale, par Priscilla. Nous avons des saints qui sont plus saints que tes saints, des martyrs plus martyrs que tes martyrs. Connais-tu Alexandre, Théodote et Thémison ? On a arraché les yeux, les dents et les ongles à Alexandre de Phrygie. On lui a frotté la peau avec du miel, on a versé dessus des guêpes furieuses et on l’a lié par une corde à la queue d’un taureau qui marchait au pas dans une prairie. On a déchiré Thémison avec des couteaux de bois, et on a fait couler sur sa figure le sang de ses entrailles. Mais Satan, au haut d’une montagne, a battu Thémison pendant six nuits avec le tronc d’un cèdre qui avait toutes ses branches ; et il l’a rejeté comme une pierre, dans la vallée.

Allons, viens ! Jésus a souffert le martyre. Qu’est ta douleur près de la sienne ?

antoine
amèrement.

Oh ! rien ! Je le sais ! les larmes de toutes les générations qui, réunies, formeraient des océans, sont, devant ces pleurs éternels, comme une goutte d’eau sur une feuille.

Silence.
les montanistes
reprennent :

L’amour déborde du cœur saignant. L’extase aux yeux fermés contemple les splendeurs célestes, et la suprême intelligence t’arrivera par les angoisses de la matière, comme la foudre qui n’apparaît que dans les déchirures des nuages.

antoine.

Oh ! oui ! oui ! mon corps me gêne ! il m’écrase ! il m’étouffe !

les valériens
très grands, très maigres, avec un poignard à la ceinture, une couronne d’épines sur le front. Ils prennent leur poignard d’une main, leur couronne de l’autre ; — et ils disent :

Voilà qui tranche la luxure ! Voici qui endolorit l’orgueil. Est-ce