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Ah ! regardez donc comme ses membres, en le maniant, sont restés au fond de nos mains ! il n’est plus ! il n’éternue pas à la fumée des herbes sèches et ne soupire point d’amour au milieu des bonnes odeurs. Il est mort ! il est mort !

Elles s’écorchent le visage avec leurs ongles, déchirent leurs habits et coupent leurs cheveux ; elles vont l’une après l’autre les déposer sur le lit, et toutes ces longues chevelures pêle-mêle semblent des serpents blonds et noirs rampant sur le simulacre de cire, qui n’est plus qu’une masse informe.
antoine
attentif.

Que font-elles ? mais pourquoi tout cela ?

le diable.

Ce sont des filles de Tyr qui pleurent Adonis.

À la mort :

Va donc ! tu languis.

À Antoine :

Et toi, regarde.

la mort
faisant claquer son fouet.

C’est qu’en vérité j’ai le bras rompu !

antoine.

Oh ! j’étouffe !

Le catafalque d’Adonis disparaît ; on entend un bruit de castagnettes et de cymbales dominé par le ronflement d’une trompe et des cris de joie, des battements de mains, des pas qui approchent ; des hommes vêtus de robes bizarres, suivis d’une foule de gens de la campagne, conduisent un âne, empanaché de plumes et de feuillages, la queue garnie de rubans, la crinière tressée, les sabots peints, avec un frontal à plaques d’or et des coquilles aux oreilles ; une grande boîte carrée, recouverte d’une housse à cordons, lui ballotte sur le dos entre deux paniers de roseau suspendus à ses flancs.
Le premier s’emplit au fur et à mesure de toutes les offrandes de la foule : œufs, gibier, raisins, fromages mous, lièvres dont on voit passer les oreilles, volailles toutes plumées, poires en quantité, monnaie de cuivre de toute espèce, tandis que le second ne contient