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la mort.

Le mensonge, au contraire, c’est ce qui n’est pas moi ; tout ce qui un moment tourbillonne en dehors bientôt y revient, tout y converge, tout s’y absorbe. Mais je suis, sois-en sûr, la fin des fins, le but des buts, l’achèvement des œuvres.

antoine.

Si c’était vrai, pourtant !

la luxure.

Sa robe rose décolletée mord ses épaules grasses, elle a les cheveux luisants de pommade, quelque chose de miellé qui sent les fleurs ; son front est pâle sous ses bandeaux, comme la lune entre deux nuages ; tu passerais la main dans sa gorge, tu toucherais à son grand peigne, elle se mettrait pour toi toute nue, en commençant par les pieds ; tu verrais se relever son vêtement et s’étendre sa chair.

la mort.

On passe des bâtons sous la bière, et l’on s’en va. On la voit, quand on la suit, qui se balance de droite à gauche et semble à chaque pas plonger comme une chaloupe. Le mort, là dedans, se fait charrier paresseusement, les porteurs suent, des gouttes de leur front tombent sur le coffre. Braves gens ! on vous mettra à votre tour, on vous portera comme lui, vous vous ferez traîner plus tard. Les blés sont verts, les poiriers sont tout en fleurs, les poules chantent dans les cours ; il fait beau, la récolte sera bonne ; la fosse est prête, ils attendent, appuyés sur leurs louchets ; la terre s’émiette des bords du trou et coule dans les coins. On arrive, on vous descend avec des cordes, les pelletées se précipitent, et c’est comme si rien n’avait été.

Aimerais-tu mieux être sur des feuilles ou rouler au fond de la mer ?

la luxure
passant prestement sous le bras de la Mort, vient se camper devant saint Antoine ; il la regarde en hochant la tête, elle dit :

Mais, malgré toi, du plus profond de toi-même, quelque chose malgré toi se révolte furieusement ; le cœur de l’homme est fait pour la vie, et l’aspire de partout, du plus loin qu’il peut. Outre les souvenirs où il se reporte, les espérances où il se jette, les possessions où il s’ébat, n’a-t-il pas besoin d’autres mondes à