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les astomi.

Prenez garde ! ne soufflez pas trop fort, vous nous feriez mourir ; notre vie ne tient à rien, les gouttes de pluie qui tombent creusent des trous sur notre crâne, un grain de poussière nous écrase. Délicats et vaporeux, nous nous nourrissons de lumière, de parfums, de musique ; mais les fortes odeurs nous donnent des maladies, les ténèbres nous rendent fous, les sons faux nous déchirent.

les blemmyes.

Eh bien ! nous autres, nous sommes gaillards et bien portants. N’ayant point de tête, nos épaules en sont plus larges, et il n’y a pas de mulet, de chameau, de bœuf, ni de rhinocéros en bronze qui soit capable de porter ce que nous portons. Le mal de dent nous est inconnu, puisque nous n’avons pas de mâchoire ; rien ne nous scandalise la vue, puisque nous n’avons pas d’yeux.

Des espèces de traits et comme une vague figure empreinte sur nos poitrines, voilà tout ! À la place de l’estomac, nous sentons bien, il est vrai, grouiller quelque chose ; nous pensons des digestions, nous subtilisons des sécrétions. Dieu, pour nous, repose en paix dans les chyles intérieurs. D’un mouvement sec et toujours le même, comme celui de la navette qui glisse sur son métier, et qui n’est navette que pour cela et qu’à cause de cela, nous marchons droit notre chemin ; rien ne nous distingue, ne nous égare, ne nous arrête ; nous traversons toutes les fanges ; sans y tomber nous côtoyons les abîmes, car le vertige n’est pas pour nous, et c’est là ce qui fait que nous sommes les gens les plus laborieux, les plus heureux et les plus vertueux.

antoine.

Mais qui soupire ainsi avec des bruits de baisers et des gémissements mélancoliques ?

le cochon
reniflant.

Tiens ! on sent bon, on dirait l’odeur des marronniers.

l’hermaphrodite
à plat ventre sur son matelas.

Je languis, mon cœur bat, j’espère, je me retourne, je m’agite, j’ai beau baiser mes bras et humer mes membres, je n’apprends rien de ce que cherche mon désir. J’ai vu dans les sources que