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antoine
au bord de l’abîme.

La tête me tourne.

le diable.

En t’appuyant des genoux, laisse-toi couler doucement entre les parois de la gorge, tu tomberas sur du sable, tu te relèveras vite… Avance donc, regarde !

À part.

S’il descend, je lui tords le cou !

Antoine se penche encore plus pour voir la caravane.

Tu courras après eux, tu ramasseras le poignard, tu prendras ton élan ; de la main gauche t’accrochant à la queue du chameau, tu sauteras sur sa croupe, et de la droite, sous l’omoplate, un seul coup… à l’autre ! à l’autre ! à l’autre !

antoine
tremblant, se recule.

Pourquoi la curiosité m’a-t-elle poussé là ? quand donc serai-je tranquille ? Je ne puis vivre une minute sans perdre mon âme ; j’ai dans la tête comme des miasmes de vin, des senteurs de femme, des bruits de métal ; toutes les impuretés, toutes les folies, toutes les cupidités me remplissent, me torturent… En prières donc, misérable !

Il court à sa chapelle. La chapelle a disparu.

Comment ? tout à l’heure cependant… Ah ! n’importe ! ceci du moins ne m’échappera pas !

Il saute sur sa discipline et s’en donne de grands coups contre le thorax.
le cochon
se réveillant en sursaut, essaie de faire quelques pas, il chancelle et se secoue les oreilles.

Quel rêve ! j’en ai le cœur malade !

J’étais au bord d’un étang ; je me suis approché pour boire, car j’avais soif ; l’onde aussitôt s’est changée en lavure de vaisselle, j’y suis entré jusqu’au ventre. Alors une exhalaison tiède, comme celle d’un soupirail de cuisine, a poussé vers moi des