Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/368

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des grains d’acier. L’œil, fendant l’espace, navigue à l’aise dans les horizons ; là-bas, l’odeur des foins, maintenant, circule avec la brise ; la clarté des nuits blanchit le tronc des arbres, et les bêtes attentives, allant boire aux fontaines, regardent sur la mousse l’ombre des fleurs qui remue. Au milieu des pâturages les troupeaux immobiles mouillent dans la rosée leurs fanons qui pendent, les oiseaux sont endormis, les grands fleuves coulent.

la logique
derrière lui.

Contemple-la, la majesté de Dieu qui repose sur la terre ! les lacs sont plus purs que l’eau des bénitiers ; sous le dôme des cieux ainsi que des lampes les étoiles sont suspendues. Écoute chanter les océans sonores, et comme des lèvres en prières frissonner les feuilles des bois ; respire en paix, verse ton âme dans l’azur, promène par les espaces ton désir infini.

l’orgueil.

Car le soupir que tu pousses te retombe sur le cœur, et la pensée se blesse aux murs. Qu’as-tu besoin de rester dans les temples ? la main des hommes a-t-elle donc pu enfermer Dieu ? et plus que toutes ces pierres n’es-tu pas toi-même le Temple saint où réside sa grâce ?

la logique.

Pour te rapprocher de lui davantage, franchis donc ce qui te sépare de ses œuvres, sors de ta chapelle, rallume ton amour à ces feux qui luisent, sors donc, hume l’air !

antoine
sort de sa chapelle.

Comme la nuit est douce ! comme le temps est pur ! comme les étoiles scintillent ! il y en a beaucoup, ce soir ; c’est beau, la création ! Et dire que si on vivait mille ans on ne se lasserait point d’admirer tout ça ! Vraiment il faut avoir le cœur bien dur pour n’être pas attendri de reconnaissance envers le Seigneur, lorsqu’on se prend à considérer l’harmonie de l’univers : ces beaux astres qui luisent pour que nous les regardions, ces grandes forêts pleines de choses utiles, ces fleuves qui portent des bateaux, ce désert, ces montagnes avec ce petit endroit-ci tout exprès pour moi. Et l’homme même, quelle merveille ! Ces pieds qui sont si bien faits pour marcher, ces mains qui s’ouvrent et se referment, ces yeux qui voient, et cette tête…

Il prend sa tête.