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d’ardeurs inquisitives et possédée dans toutes les postures, dans le tapage de l’orgie et dans l’attouchement du premier désir.

Ô Luxure, tu circules en liberté, belle et levant la tête ; à tous les carrefours de l’âme, on retrouve ta chanson, et tu passes au bout des idées comme la courtisane au bout des rues.

Le désir sous tes pas se lève d’entre les pavés, des rêveries charmantes s’entr’ouvrent comme des fleurs aux plis remuants de ta robe, et quand tu la retires, on a des éblouissements comme si ta chair était un soleil ; mais tu ne dis pas les ulcères qui rongent ton cœur, et l’immense ennui qui suppure de l’amour. Moi, j’ai effeuillé en riant la rose desséchée de ta première passion, et j’ai vu suer ton fard sous les efforts que tu faisais pour avoir du plaisir ; je suis las de ton visage et de l’imbécillité de tes caresses, va-t’en ! va-t’en ! J’aime mieux les fucus au flanc des falaises que tes cheveux dénoués, j’aime mieux le clair de lune s’allongeant dans les ondes que ton regard amoureux se noyant dans la tendresse, j’aime mieux la brise que tes baisers, et le frissonnement des grandes plaines que tes tressaillements d’amour ; j’aime mieux le marbre, la couleur, l’insecte et le caillou ; j’aime mieux ma solitude que ta maison, et mon désespoir que tes chagrins.

les péchés.

Que te faut-il donc ?

la science.

Ce qu’aucun de vous ne possède… Ah ! je suis triste, bien triste !

l’orgueil.

Console-toi, petit ! yu grandiras, tu seras fort et robuste, je te ferai boire d’un bon vin amer et coucher sur des herbes sauvages.

le diable.

Si tu travailles comme il faut, tu auras un beau plumet de plumes de paon, avec une trompette de fer-blanc, et je te mènerai aux marionnettes ! à la meilleure place, entends-tu ? sur la première banquette, petit, à côté des lampions, de manière à bien voir tous les bonshommes et les doigts du machiniste à travers la toile.

l’orgueil
à la Science, lui essuyant les yeux avec le bas de sa robe.

Allons ! ne pleure plus, sois joyeux, ris donc ; tes chagrins se