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ni fleurs amollissantes au bord des prés, ni sourire au visage des femmes, ni provocations homicides sur le fer des glaives ?

Le Christ doit rire de l’enfer, songez-y donc ! Quoi ! toutes ensemble… pour un seul homme… vous n’avez pu !… Ah ! je suis las de vous, tenez, et je m’en débarrasserai à quelque jour ; car les fils d’Ève, je vous le jure, se donneront à moi, pour moi seul, pour le plaisir de m’avoir. Oui, plus tard, dans d’autres siècles, quand les lassitudes des générations vécues courberont au berceau les races ennuyées, quand elle se sera longuement repue de vin, de femmes et de sang, qu’elle aura vidé la lie, tari l’amour, fatigué sa fureur et bien senti sa misère, alors, comme un ivrogne qui se réveille, l’humanité pâlie détournera la tête et ne voudra plus rien ; elle voudra de moi, toujours ; seul avec l’orgueil.

les péchés.

C’est l’Orgueil qui l’a sauvé, nous l’allions prendre, elle nous entrave.

le diable
avec majesté, de la main leur imposant silence.

Taisez-vous ! assez !

C’est à vous qu’elle en arrache, non pas à moi, car toutes ces âmes dont vous parlez, qui se jettent dans l’orgueil pour vous fuir, elles vont en enfer, croyez-le, et je les place à ma gauche comme mon butin le plus précieux.

les péchés.

Mais sans cesse elle nous insulte…

le diable.

Tant pis pour vous ! faites votre œuvre, elle fait la sienne.

les péchés.

Sans elle nous serions plus puissantes.

le diable.

Sans elle je serais plus débile.

la luxure.

Pourquoi, quand je circule dans les âmes, arrive-t-elle tout à coup avec ses résolutions vertueuses ?