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apollonius.

Quel est ton désir, ton rêve caché, tes plus vagues fantaisies ? le temps d’y songer seulement…

antoine
joignant les mains.

Ah ! je glisse ! je glisse ! arrêtez-moi sur l’abîme !

apollonius.

Est-ce la science ? est-ce la gloire ? veux-tu manger tout seul à des tables vermeilles ? veux-tu rafraîchir tes yeux sur des verdures humides ? veux-tu sentir ton corps s’enfoncer comme en une onde dans la chair molle des femmes pâmées ?

antoine
se tenant la tête et criant douloureusement.

Ah ! encore ! encore !

damis.

Oui vraiment ! il peut dans ta pensée tout à coup faire resplendir l’esprit et attacher des foules émues au mouvement de tes talons ; de la montagne entr’ouverte les diamants vont couler ; sur la croix que voici les roses vont fleurir ; accourues ensemble et tournant autour de toi, les sirènes nacrées vont te caresser de leurs chevelures et te bercer dans leurs chansons.

antoine.

Saint-Esprit, délivrez-moi du péril !

apollonius.

Veux-tu que je me change en arbre, en léopard, en rivière ?

antoine.

Sainte Vierge, mère de Dieu, priez pour moi !

apollonius.

Veux-tu que je fasse reculer la lune ?