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des hommes à tunique blanche se met à danser, en jouant des crotales ; un autre à genoux devant la boîte bat du tambourin, et
le plus vieux de la troupe
commence :

Voici la Bonne Déesse, l’idéenne des montagnes, la grand’mère de Syrie ! Approchez, braves gens !

Elle procure la joie, guérit les malades, envoie des héritages, et satisfait les amoureux.

C’est nous qui la promenons dans les campagnes par beau et mauvais temps.

Souvent nous couchons en plein air, et nous n’avons pas tous les jours de table bien servie. Les voleurs habitent les bois. Les bêtes s’élancent de leurs cavernes. Des chemins glissants bordent les précipices. La voilà ! la voilà !

Ils enlèvent la couverture ; et on voit une boîte incrustée de petits cailloux.

Plus haute que les cèdres, elle plane dans l’éther bleu. Plus vaste que le vent, elle entoure le monde. Sa respiration s’exhale par les naseaux des tigres ; sa voix gronde sous les volcans, sa colère est la tempête ; la pâleur de sa figure a blanchi la lune. Elle mûrit les moissons, elle gonfle les écorces, elle fait pousser la barbe. Donnez-lui quelque chose, car elle déteste les avares !

La boîte s’entr’ouvre ; et on distingue, sous un pavillon de soie bleue, une petite image de Cybèle — étincelante de paillettes, couronnée de tours et assise dans un char de pierre rouge, traîné par deux lions la patte levée.
La foule se pousse pour voir.