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antoine.

Il a un maître, pourtant.

hilarion
montrant la colonne :

Celui-là, Bélus, le premier rayon, le Soleil, le Mâle ! — L’Autre, qu’il féconde, est sous lui !

Antoine aperçoit un jardin, éclairé par des lampes.
Il est au milieu de la foule, dans une avenue de cyprès. À droite et à gauche, des petits chemins conduisent vers des cabanes établies dans un bois de grenadiers, que défendent des treillages de roseaux.
Les hommes, pour la plupart, ont des bonnets pointus avec des robes chamarrées comme le plumage des paons. Il y a des gens du nord vêtus de peaux d’ours, des nomades en manteau de laine brune, de pâles Gangarides à longues boucles d’oreilles ; et les rangs comme les nations paraissent confondus, car des matelots et des tailleurs de pierres coudoient des princes portant des tiares d’escarboucles avec de hautes cannes à pomme ciselée. Tous marchent en dilatant les narines, recueillis dans le même désir.
De temps à autre, ils se dérangent pour donner passage à un long chariot couvert, traîné par des bœufs ; ou bien c’est un âne, secouant sur son dos une femme empaquetée de voiles, et qui disparaît aussi vers les cabanes.
Antoine a peur, il voudrait revenir en arrière. Cependant une curiosité inexprimable l’entraîne.
Au pied des cyprès, des femmes sont accroupies en ligne sur des peaux de cerf, toutes ayant pour diadème une tresse de cordes. Quelques-unes, magnifiquement habillées, appellent à haute voix les passants. De plus timides cachent leur figure sous leurs bras, tandis que par derrière, une matrone, leur mère sans doute, les exhorte. D’autres, la tête enveloppée d’un châle noir et le corps entièrement nu, semblent, de loin, des statues de chair. Dès qu’un homme leur a jeté de l’argent sur les genoux, elles se lèvent.