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rougissantes, des matrones pleines d’orgueil, des reines avec une grande suite de bagages et d’esclaves.

antoine
à part :

Ah ! lui aussi ?

le buddha.

Ayant vaincu le démon, j’ai passé douze ans à me nourrir exclusivement de parfums ; — et comme j’avais acquis les cinq vertus, les cinq facultés, les dix forces, les dix-huit substances, et pénétré dans les quatre sphères du monde invisible, l’Intelligence fut à moi ! Je devins le Buddha !

Tous les dieux s’inclinent ; ceux qui ont plusieurs têtes les baissent à la fois.
Il lève dans l’air sa haute main et reprend :

En vue de la délivrance des êtres, j’ai fait des centaines de mille de sacrifices ! J’ai donné aux pauvres des robes de soie, des lits, des chars, des maisons, des tas d’or et des diamants. J’ai donné mes mains aux manchots, mes jambes aux boiteux, mes prunelles aux aveugles ; j’ai coupé ma tête pour les décapités. Au temps que j’étais roi, j’ai distribué des provinces ; au temps que j’étais brakhmane, je n’ai méprisé personne. Quand j’étais un solitaire, j’ai dit des paroles tendres au voleur qui m’égorgea. Quand j’étais un tigre, je me suis laissé mourir de faim.

Et dans cette dernière existence, ayant prêché la loi, je n’ai plus rien à faire. La grande période est accomplie ! Les hommes, les animaux, les