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lettre expansive, où il lui parlait de sa solitude, de sa misère, de son amour trompé. Que faire désormais dans la vie ? à quoi bon continuer à marcher dans cette voie douloureuse, où les pieds vous saignent à chaque pas sur les pierres qui la pavent ? le présent était triste, l’avenir pire encore, il voulait mourir, il l’embrassait et lui disait adieu.

De grosses larmes tombèrent de ses yeux et mouillèrent le papier.

Morel aussi écrivait ; ayant dîné à la hâte, déjà rentré chez lui, il écrivait le mémoire de la Société plâtrière nationale contre la Société plâtrière de Paris, mais son genou lui faisait toujours beaucoup de mal et ses plumes étaient toutes détestables, ce qui l’agaçait considérablement.

XV

Jules non plus n’était pas heureux, Bernardi était toujours malade, le théâtre chômait depuis quinze jours, et la troupe se désorganisait petit à petit ; le jeune premier était même allé jouer dans un département voisin avec une partie des décors et des costumes, tout cela retardait la représentation du Chevalier de Calatrava, dont Jules n’avait pu encore faire la lecture de ce cinquième acte, ce fameux cinquième acte, qui devait lui rapporter tant de gloire. On eût dit que Bernardi avait juré de ne pas l’entendre ; un jour il avait mal à la tête, Le lendemain il faisait des comptes, un autre il était trop occupé, un autre il se purgeait. En vain, chaque matin, avant d’aller à son bureau, Jules venait lui faire une petite visite, pour avoir des nouvelles de sa santé, disait-il, mais pour tâcher incidemment de ramener dans la conversation la lecture susdite : déception quotidienne ! le directeur semblait sourd et répondait