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Et ils le quittèrent en ajoutant : « Il faut pour nous refuser qu’il soit un saint ou un impuissant », tandis que l’autre, l’homme aux nombreuses passions, disait : « C’est un être ignoble, qui ne sent pas le beau côté de l’amour, la matière est tout pour lui ; quels vices il doit avoir ! »

Huit jours après, il revît les trois soupeurs, qui en étaient encore malades ; on parla de l’art des festins, Jules émit à ce sujet des plans si colossaux, des idées si grandioses que la compagnie s’écria d’un commun accord :

— Quel luron vous faites ! quel gars ! Peste, comme vous y allez ! nous ne sommes pas comme vous. Voilà ce qui s’appelle vraiment un roué accompli.

Dans la même soirée, l’amoureux vint lui rendre visite ; Jules crut bien faire en commençant par lui parler du charme des liaisons commençantes, de la joie dont les premiers regards remplissent le cœur, des spasmes ineffables qui vous saisissent, de cette douce pente sur laquelle la vie coule quand…

— Bah ! interrompit l’ami, je ne suis pas si platonique que ça, moi. Vous savez bien Pauline, cette femme que j’ai entreprise il y a trois semaines ? Son mari est parti en voyage, elle vient tous les jours chez moi passer au moins quatre heures, sans compter la nuit ; je l’ai montée à un rude diapason, allez ! c’est une tigresse, maintenant. Il faut voir ça ! nous prenons du plaisir tant que nous pouvons, nous nous en donnons à nous faire crever si ça dure. Qu’est-ce que vous en dites ? n’ai-je pas raison ?

Jules songeait aux inconséquences perpétuelles et aux variations de tous ces gens, qui vivaient normalement chacun dans son milieu, tandis que lui, au contraire, si continu avec lui-même et suivant une ligne droite, était toujours en désaccord avec le monde et avec son cœur ; il en arrivait à cet axiome : l’inconséquence est la conséquence suprême, l’homme qui n’est