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son pompeux catholicieme, elle demeurera toujours romaine et impériale avant tout ; ce sera la terre du matérialisme ou plutôt du sensualisme artistique, car le sol ici est plus poète que tous les poètes du monde, et sa poussière porte les pas de l’histoire tout entière. Mais à travers la grande voix du moyen âge, qui retentit encore sur les marches du Vatican, j’entends toujours le dernier murmure de l’orgie impériale, les temples me font penser au paganisme, et le Tibre, qui murmure son onde dans ses joncs flétris, ne roule-t-il pas encore la cendre toute chaude de l’Empire ?

La nuit, quand la lune éclaire ces débris d’un autre monde, que le renard des marais pontins pousse son cri rauque dans Les rues silencieuses, que la grenouille coasse dans les thermes de Titus, ne doit-il pas s’élever souvent un long soupir du monde païen évanoui ? ne monte-t-il pas quelquefois jusqu’à nous un dernier écho des voluptés impériales ? le cirque est-il vide ? les lions ne rugissent-ils plus au bruit de la clameur du peuple en délire, qui s’en va jusqu’à Ostie ? les coupes d’or ne retentissent-elles plus, entrechoquées par les belles mains ivres ? Néron ne vient-il jamais reprendre les rênes de son char splendide, qui vole sur le sable d’or et dont les roues broient des hommes ? ses orgies titaniques, aux flambeaux humains, sont-elles bien finies ? et l’amoureuse Naples a-t-elle cessé de soupirer comme une femme endormie, dans les eaux bleues de son golfe d’Ischia, et sa terre chaude n’a-t-elle plus au crépuscule des parfums de fleur ?

Oh ! non, vous avez beau faire, le monde romain n’est pas mort ! il vit en vous, il vous obsède de ses souvenirs et de sa gloire éternelle ; ses empereurs vous font oublier ses papes, ses artistes ses fidèles ; l’art a plus de pouvoir que la foi, car la foi elle-même ici a quelque chose d’artiste, de théâtral et de superbe ; Michel-Ange efface Mino da Fiesole, et Raphaël Cimabué.