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serrées et me serrant sur elle avec une force enragée ; je me sentis entraîné comme dans un ouragan d’amour, des sanglots éclataient, et puis des cris aigus ; ma lèvre, humide de sa salive, pétillait et me démangeait ; nos muscles, tordus dans les mêmes nœuds, se serraient et entraient les uns dans les autres, la volupté se tournait en délire, la jouissance en supplices.

Ouvrant tout à coup les yeux ébahis et épouvantés, elle dit :

— Si j’allais avoir un enfant !

Et passant, au contraire, à une câlinerie suppliante :

— Oui, oui, un enfant ! un enfant de toi !… Tu me quittes ? nous ne nous reverrons plus, jamais tu ne reviendras, penseras-tu à moi quelquefois ? j’aurai toujours tes cheveux là, adieu !… Attends, il fait à peine jour.

Pourquoi donc avais-je hâte de la fuir ? est-ce que déjà je l’aimais ?

Marie ne me parla plus, quoique je restasse bien encore une demi-heure chez elle ; elle songeait peut-être à l’amant absent. Il y a un instant, dans le départ, où, par anticipation de tristesse, la personne aimée n’est déjà plus avec vous.

Nous ne nous fîmes pas d’adieux, je lui pris la main, elle y répondit, mais la force pour la serrer était restée dans son cœur.

Je ne l’ai plus revue.

J’ai pensé à elle depuis, pas un jour ne s’est écoulé sans perdre à y rêver le plus d’heures possible, quelquefois je m’enferme exprès et seul, je tâche de revivre dans ce souvenir ; souvent je m’efforce à y penser avant de m’endormir, pour la rêver la nuit, mais ce bonheur-là ne m’est pas arrivé.

Je l’ai cherchée partout, dans les promenades, au théâtre, au coin des rues, sans savoir pourquoi j’ai