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des nuits d’août montait jusqu’à nous, nous entendions, de là, les arbres du boulevard remuer, le rideau de la fenêtre tremblait ; toute la nuit il fit de l’orage ; souvent, à la lueur des éclairs, j’apercevais sa blême figure, crispée dans une expression de tristesse ardente ; les nuages couraient vite, la lune, à demi cachée par eux, apparaissait par moments dans un coin de ciel pur entouré de nuées sombres.

Elle se déshabilla lentement, avec les mouvements réguliers d’une machine. Quand elle fut en chemise, elle vint à moi, pieds nus sur le pavé, me prit par la main et me conduisit à son lit ; elle ne me regardait pas, elle pensait à autre chose ; elle avait la lèvre rose et humide, les narines ouvertes, l’oeil en feu, et semblait vibrer sous le frottement de sa pensée comme, alors même que l’artiste n’est plus là, l’instrument sonore laisse s’évaporer un secret parfum de notes endormies.

C’est quand elle se fut couchée près de moi qu’elle m’étala, avec un orgueil de courtisane, toutes les splendeurs de sa chair. Je vis à nu sa gorge dure et toujours gonflée comme d’un murmure orageux, son ventre de nacre, au nombril creusé, son ventre élastique et convulsif, doux pour s’y plonger la tête comme sur un oreiller de satin chaud ; elle avait des hanches superbes, de ces vraies hanches de femme, dont les lignes, dégradantes sur une cuisse ronde, rappellent toujours, de profil, je ne sais quelle forme souple et corrompue de serpent et de démon ; la sueur qui mouillait sa peau la lui rendait fraîche et collante, dans la nuit ses yeux brillaient d’une manière terrible, et le bracelet d’ambre qu’elle portait au bras droit sonnait quand elle s’attrapait au lambris de l’alcôve. Ce fut dans ces heures-là qu’elle me disait, tenant ma tête serrée sur son cœur :

— Ange d’amour, de délices, de volupté, d’où viens-tu ? ou est ta mère ? à quoi songeait-elle quand