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tant de ruines, il se soit élevé un immense sarcasme sur ce passé hideux du moyen âge qui palpitait encore au xvie siècle, et dont le xvie siècle avait horreur lui-même.

Qu’est-ce donc que Rabelais ?[1]

Essayons de le dire.

La mère de Gargantua le met au monde dans une indigestion qu’elle eut pour avoir mangé trop de fouace, car les héros sont de terribles mangeurs ; ils mangent, ils mangent si bien qu’ils affament le monde ; provinces, duchés, royaumes sont ravagés par leur vorace appétit. Voilà donc Gargantua qui vient au monde, et dès qu’il voit le jour il demande : « À boire ! à boire ! » Son enfance est robuste, une enfance de géant. À un an, il chante des rondeaux, ses gouvernantes le corrompent, il est tout couvert d’habits de cour, c’est un vrai gentilhomme. On lui apprend la philosophie, il controverse avec les sophistes, lit Pline, Athénée, Dioscoride, Galien, Aristote, Elien ; il apprend la géométrie, la musique, la médecine ; il joue à tous les jeux, s’amuse de toutes les façons, boit vigoureusement. Après la guerre qu’il soutint pour son père Grangousier contre Picrochole, quand il vint à se peigner il faisait tomber de ses cheveux des boulets d’artillerie, et il avala dans une salade six pèlerins qu’il retira avec son cure-dents.

Mais ce qu’il y a de plus beau dans le roman, ce ne sont point les inventions, les aventures, ni ce style si naïf, à l’expression si pittoresque, à la phrase si bien ciselée en relief, c’est le dialogue, le comique des caractères, les longues causeries philosophiques de Gargantua et du moine, qui lui explique pourquoi les moines sont exclus du monde, pourquoi les demoiselles ont les cuisses fraîches, pourquoi les uns ont le nez plus plat que les autres, etc. Après tout, Gargantua est un bon

  1. Inédit, page 149 à page 154, ligne 5.