Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/121

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un éternel adieu, un dernier et long baiser, à ce qu’il avait éclairé, aux bois, aux prairies, aux forêts, aux vallons déserts, à l’Océan sur lequel il courait dans les longues journées ; il était parti, les astres n’étaient point venus, et ils étaient allés éclairer d’autres mondes, plus haut.

Pourquoi donc Smarh lève-t-il la tête ? Voilà une femme à ses côtés… Non, c’est un ange, elle lui a essuyé ses larmes, avec le bout de ses ailes blanches ; elle l’a relevé, l’a porté sur son cœur, elle pleure aussi, elle a les pieds en sang, elle lui dit : « Ô mon bien-aimé, viens à moi, ils m’ont chassée, ils m’ont bannie, aime-moi, je suis si belle. »

Et Smarh poussa un cri de joie, il se rattachait à la branche de salut d’où l’ouragan l’avait entraîné. Il s’écria tout à coup :

— Oui, je t’aime ! je t’aime ! tu vois bien que je renais, que je vis, tu vois que le soleil reparaît, que l’herbe pousse sur les coteaux, que les fleuves coulent encore ; oui, je t’aime ! Ô mon Dieu, mon Dieu, j’avais douté, j’avais pleuré, j’avais maudit, j’avais vu le monde passer comme une chaîne de squelettes dans une danse de l’enfer, et je n’avais pas compris ! Mais la providence se déroule à mes yeux, voilà l’aurore qui vient, l’horizon se déroule, s’avance, et laisse voir au fond quelque chose de resplendissant et d’éternel ; oui, je t’aime ! Si tu savais ! écoute donc ! Est-ce que c’est moi qui ai vécu si longtemps, qui ai marché sur tant de poussières, heurté tant de ruines ? Non, voilà la poussière qui monte au ciel, voilà les ruines qui se lèvent et se placent. Qu’étais-je donc ? Poète ? Oh ! oui ! je chanterai toujours, je chanterai encore. Oh ! je t’aime !

Tout à l’heure j’étais dans le tombeau, je sentais un marbre lourd sur ma tête, et je me heurtais aux planches du cercueil, mais je suis au ciel ! Oh ! je t’aime pour l’éternité ; pour l’éternité tu es à moi !