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gantées et applaudissant avec des fleurs ; je regardais le ballet sautillant, les robes roses ondoyantes ; j’écoutais les pas tomber en cadence, je regardais les genoux se détacher mollement avec les tailles penchées.

D’autrefois, recueilli devant les œuvres du génie, saisi par les chaînes avec lesquelles il vous attache, alors, au murmure de ces voix, au glapissement flatteur, à ce bourdonnement plein de charmes, j’ambitionnais la destinée de ces hommes forts qui manient la foule comme du plomb, qui la font pleurer, gémir, trépigner d’enthousiasme. Comme leur cœur doit être large à ceux-là qui y font entrer le monde et comme tout est avorté dans ma nature ! Convaincu de mon impuissance et de ma stérilité, je me suis pris d’une haine jalouse ; je me disais que cela n’était rien, que le hasard seul avait dicté ces mots, je jetais de la boue sur les choses les plus hautes, que j’enviais.

Je m’étais moqué de Dieu, je pouvais bien rire des hommes.

Cependant cette sombre humeur n’était que passagère, et j’éprouvais un vrai plaisir à contempler le génie resplendissant au foyer de l’art, comme une large fleur qui ouvre une rosace de parfum à un soleil d’été.

L’art ! l’art ! quelle belle chose que cette vanité !

S’il y a sur la terre et parmi tous les néants une croyance qu’on adore, s’il est quelque chose de saint, de pur, de sublime, quelque chose qui aille à ce désir immodéré de l’infini et du vague que nous appelons âme, c’est l’art. Et quelle petitesse ! une pierre, un mot, un son, la disposition de tout cela que nous appelons le sublime. Je voudrais quelque chose qui n’eût pas besoin d’expression ni de forme, quelque chose de pur comme un parfum, de fort comme la pierre, d’insaisissable comme un chant, que ce fût à la fois tout cela et rien d’aucune de ces choses. Tout me semble borné, rétréci, avorté dans la nature.