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cela peut-être dégénéra en amour, de sa part du moins, et j’en eus des preuves évidentes.

Pour moi, je peux me donner le rôle d’un homme moral, car je n’avais point de passion. Je l’aurais bien voulu.

Souvent elle venait vers moi, me prenait autour de la taille ; elle me regardait, elle causait. La charmante petite fille ! Elle me demandait des livres, des pièces de théâtre dont elle ne m’a rendu qu’un fort petit nombre ; elle montait dans ma chambre, j’étais assez embarrassé. Pouvais-je supposer tant d’audace dans une femme, ou tant de naïveté ? Un jour elle se coucha sur mon canapé dans une position très équivoque ; j’étais assis près d’elle sans rien dire.

Certes le moment était critique, je n’en profitai pas, je la laissai partir. D’autres fois, elle m’embrassait en pleurant. Je ne pouvais croire qu’elle m’aimait réellement, Ernest en était persuadé, il me le faisait remarquer, me traitait d’imbécile, tandis que vraiment j’étais tout à la fois timide et nonchalant.

C’était quelque chose de doux, d’enfantin, qu’aucune idée de possession ne ternissait, mais qui, par cela même, manquait d’énergie ; c’était trop niais cependant pour être du platonisme.

Au bout d’un an, leur mère vint habiter la France ; puis au bout d’un mois, elle repartit pour l’Angleterre. Ses filles avaient été retirées de pension et logeaient avec leur mère dans une rue déserte, au second étage.

Pendant son voyage, je les voyais souvent aux fenêtres. Un jour que je passais, Caroline m’appela, je montai. Elle était seule, elle se jeta dans mes bras et m’embrassa avec effusion ; ce fut la dernière fois, car depuis elle se maria.

Son maître de dessin lui avait fait des visites fréquentes. On projeta un mariage, il fut noué et dénoué cent fois. Sa mère revint d’Angleterre sans son mari