Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/508

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cette insomnie. Est-ce par vanité encore ? Ah ! l’amour ne serait-il que de l’orgueil ? faut-il nier ce que les impies respectent ? faudrait-il rire du cœur ? Hélas ! hélas ! La vague a effacé les pas de Maria.

Ce fut d’abord un singulier état de surprise et d’admiration, une sensation toute mystique en quelque sorte, toute idée de volupté à part. Ce ne fut que plus tard que je ressentis cette ardeur frénétique et sombre de la chair et de l’âme et qui dévore l’une et l’autre.

J’étais dans l’étonnement du cœur qui sent sa première pulsation. J’étais comme le premier homme quand il eut connu toutes ses facultés. À quoi je rêvais, serait fort impossible à dire ; je me sentais nouveau et tout étranger à moi-même ; une voix m’était venue dans l’âme.

Un rien, un pli de sa robe, un sourire, son pied, le moindre mot insignifiant m’impressionnaient comme des choses surnaturelles, et j’avais pour tout un jour à en rêver. Je suivais sa trace à l’angle d’un long mur, et le frôlement de ses vêtements me faisait palpiter d’aise. Quand j’entendais ses pas, les nuits qu’elle marchait ou qu’elle avançait vers moi… non, je ne saurais vous dire combien il y a de douces sensations, d’enivrement du cœur, de béatitude et de folie dans l’amour.

Et maintenant, si rieur sur tout, si amèrement persuadé du grotesque de l’existence, je sens encore que l’amour, cet amour comme je l’ai rêvé au collège sans l’avoir et que j’ai ressenti plus tard, qui m’a tant fait pleurer et dont j’ai tant ri, combien je crois encore que ce serait tout à la fois la plus sublime des choses, ou la plus bouffonne des bêtises ! Deux êtres jetés sur la terre par un hasard, quelque chose, et qui se rencontrent, s’aiment, parce que l’un est femme et l’autre homme ! Les voilà haletants l’un pour l’autre, se promenant ensemble la nuit et se mouillant à la rosée, regardant le clair de lune et le trouvant diaphane,