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La pluie s’était apaisée et le convoi s’avançait doucement sur la poussière imbibée d’eau.

Quand une charrette passait, on baissait les chants, le paysan faisait prendre le débord à ses chevaux, se signait dévotement ; les enfants s’arrêtaient étonnés et regardaient, en se mettant à genoux, le cercueil et les cierges blancs qui brûlaient, les femmes noires, les couleurs de la fête ; ils écoutaient les chants monotones qui passaient dans la route et s’affaiblissaient avec le bruit des pas.

Le cimetière était loin, le convoi marcha longtemps, on s’était arrêté deux fois, car les hommes sont si faibles qu’ils peuvent à peine mener un mort en terre.

Déjà on avait quitté la route, tourné à droite, passé derrière des haies fleuries, foulé bien des sentiers dans les champs ; on montait doucement, et les cailloux du chemin roulaient sous les pieds et allaient tomber dans le ravin et s’amortir sur les bruyères des fossés.

Tout à coup on entendit des cris, on s’arrêta, un homme courait ; c’était Hugues.

Réveillé quand on avait passé devant lui, il s’était levé. Comme il eut froid alors, il trembla, ses jambes fléchirent sous lui quand il voulut marcher, il sentait ses forces éteintes, sa vigueur partie avec le bouchon des bouteilles.

Ô raison humaine, immuable, constante, toi à qui on a dressé des temples, car c’était la seule divinité qu’on n’eût pas adorée, raison qui s’envole avec le bouchon d’une cruche, sans laisser même, comme celle-ci, une saveur au fond de toi-même !

L’ivresse l’avait tué ; pas de plaisir sans épuisement, où a passé le feu sont les cendres.

Il s’était levé, il avait vu le cercueil, il entendit le nom de Rymbaud qu’un des assistants prononça. Il marcha sans savoir pourquoi, machinalement comme nous faisons tous, poursuivant vaguement des formes confuses qui allaient devant lui, sentant seulement