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au soleil couchant, en voyant le ciel pâlir et l’automne rentrer dans son linceul d’hiver.

Je n’ai ni femme qui m’aime, ni mère, ni famille ; le poète est orphelin.

C’est un monde que lui-même, il emporte tout dans la tombe.

Mais, mon âme, où iras-tu ? Viens, Mort, me débarrasser de cette poignante douleur. Âme, je te sens et je voudrais te nier, mais tu occupes trop de place, car tu m’étouffes.

Le poète se tut, baissa la tête et sembla dormir.

la mort.

Le temps presse, maître Satan, le jour va venir ; il y a déjà une minute que j’aurais dû abattre un empire, un siècle, une gloire, et une fourmi qui a vécu trop d’un jour.

Je pourrais vous faire passer encore bien des ans, à voir les ans écoulés et à les contempler cadavres.

Mais tenez, voilà l’Histoire, demandez-lui ce qu’elle sait.

l’histoire.

Rien, Satan, car tu m’occupes tout entier ; je sens toujours tes deux griffes qui m’appuient sur les épaules et parsèment ma route de sang.

la mort.

Est-ce tout ?

l’histoire.

Tout !

la mort.

Et que veux-tu ?

l’histoire.

C’est que je t’envie, ou plutôt j’envie le monde que tu emportes chaque soir… mais moi je reste. Quand