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Rempli d’une mélancolie sublime, pleine de mélodie et de chants de l’âme, il se taisait.

Dans ce désert rouge, sans limites, sous cette atmosphère qui semblait une exhalaison embrasée de l’enfer, on n’entendait que les soupirs échappés de ces trois poitrines, et on eût dit que le monde, pris d’une immense et vague envie de la mort, allait pleurer.

Mais soudain l’immensité se peupla de fantômes, et de vaporeuses formes se dessinèrent dans les abîmes.

On vit s’élever de hideux squelettes, qui sortaient du sein de la terre, tout effrayés de leur réveil.

D’abord, ils levaient lentement la tête, se dressaient sur eux-mêmes, puis se levaient et marchaient ; étonnés, ils allaient ainsi au hasard, aveugles et stupéfaits ; on en voyait qui traînaient après eux un morceau de velours en lambeaux, d’autres s’appuyaient sur leurs sceptres pourris ; il y en avait qui portaient la main à leur tête pour chercher leurs couronnes, mais ils n’y trouvaient qu’un crâne nu et froid.

— Ce sont les rois, dit la Mort.

Un d’eux se mit à dire :

le roi.

J’ai dormi longtemps, mais je me réveille, car le soleil dore ma tente, mes gardes se sont relevés trois fois depuis l’aurore, mes chevaux blancs piaffent avec leurs fers d’argent, ils hennissent d’impatience, ils aspirent à pleine poitrine l’odeur des combats et la vapeur des camps. Depuis longtemps douze jeunes filles d’Ionie, au sein d’émail, aux bras d’ivoire, aux doigts de rose, font brûler dans des cassolettes les essences d’Asie, que trois flottes ont été me chercher dans le Gange ; depuis longtemps on a mis ma housse de peau de tigre sur les flancs de mon cheval de bataille.