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sens que j’ai l’âme plus large que sa colère, je sens qu’un de mes soupirs pourrait aspirer le monde tout entier et le faire passer dans ma poitrine, où il brûlerait comme je brûle.

Quand donc, Seigneur, ta trompette sonnera-t-elle ?

Il me semble qu’une large harmonie planera alors sur les collines et les océans, car je souffrirai avec le monde tout entier, les cris et les sanglots apaiseront le bruit des miens.

Satan se tut, la Mort, béante, venait de se lever à ces derniers mots sur ses jambes jaunies.

Un linceul tombait en larges replis derrière elle et couvrait à peine une peau livide et terreuse, sa tête était chauve, ornée, derrière, d’une seule mèche de cheveux rouges ; ses yeux étaient fixes et dévoraient, son front reluisait comme le cuivre, sa voix était douce et fatiguée ; on eût dit une vieille mère qui rappelait à elle ses enfants.

Elle ouvrit les dents et poussa un hideux soupir, comme le bâillement d’une tombe qui se referme ; elle étendit ses bras amaigris, avec douleur, baissa la tête sur sa poitrine osseuse dont la peau transparente laissait voir palpiter quelque chose comme un serpent qui se roule.

Satan était immobile comme la statue du désespoir, regardant la plaine, l’horizon et le ciel en feu, et comme bouffi d’une colère morne et terrible.

Le fils de Dieu, aussi, avait la tête penchée sur sa robe azurée ; ses cheveux d’or pendaient sur ses épaules blanches, ses yeux étaient remplis de larmes d’argent, pensant sans doute à son paradis, à ses saints, à ses vierges, à l’amour infini qui embrase les âmes dans ses rayons, à son père appuyé sur des nuages d’or, à sa mère pleine de divinité et source de poésie et de grâces, d’où découle tout ce qui est du ciel.