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donne et un pouvoir dont je ne connais que la Force m’enchaîne à sa volonté ; les morts vont se réveiller<

C’est un spectacle de Dieu et qui me rappellera ma jeunesse, ma journée d’hier et ma journée de demain.

VIII

Satan, je t’aime ! toi seul tu comprends peut-être mes joies et mes délires ; mais, plus heureux, un jour quand le monde ne sera plus, tu pourras te reposer comme lui et dormir dans le vide.

Et moi qui ai tant vécu, tant travaillé, qui n’ai eu que de chastes amours et d’austères pensées, il faudra durer ; l’homme a le tombeau, la gloire a l’oubli, le jour se repose dans la nuit, mais moi !…

Et je suis seule dans ma route parsemée d’ossements, bordée de ruines !

Les anges ont leurs frères, les démons aussi ont leurs compagnons d’enfer ; mais moi, toujours le même bruit de ma faulx qui coupe, de mes flèches qui sifflent, de mon cheval qui galope ; toujours le bruit de la même vague qui vient mordre le monde.

satan.

Tu te plains, la plus heureuse des créatures du ciel, la seule qui soit grande, belle, immuable, éternelle comme Dieu, la seule qui puisse l’égaler, ô toi qui un jour l’abattras a ton tour, quand tu auras terrassé l’univers sous les pieds de ton cheval !

Et alors, quand Dieu ne sera plus, quand le firmament s’échappera de tous côtés, que les étoiles courront éperdues, que les âmes sorties de leur séjour erreront dans l’abîme, s’entrechoqueront, se briseront avec des soupirs et des sanglots, alors, pour toi que de délices !

Tu iras siéger sur le trône éternel du ciel et de