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c’était pour demain j’en mourrais d’avance. Pourquoi l’as-tu fini sitôt ? sans doute tu t’es trompé ! Tu feras mieux de brûler tes parchemins ou bien de les garder sérieusement. Peux-tu lire dans la main ?

Angelo

Bagatelle ! (Louis XI lui tend la main.) Mais pas dans celle-ci, car il y a une cicatrice qui efface les plis.

Louis XI

C’est, un jour, la boucle d’une selle qui m’est entrée dans les chairs.

Angelo

Je vous l’avais déjà dit.

Louis XI

Mais tu lis dans les étoiles, n’est-ce pas Angelo ? Quand la lune est descendue sur les vallons et que tout marche dans les cimetières, tombeaux et squelettes, tes yeux percent l’azur et y voient écrite, dans une langue divine, la vie des hommes. Et moi j’ai le bonheur et la santé, la paix et autre chose que je ne saurais dire encore, n’est-ce pas Angelo ? Car toi, tu es un bon astrologue, et on m’a dit qu’il y avait les bons et les mauvais ; les seconds ne prédisaient que malheur et calamité, mais les bons rendent heureux ; et toi, je t’ai pris à ma cour, je t’aime. (Il lui donne de l’argent.) N’est-ce pas que ma destinée est belle et sûre ? Mais dis vrai, ne mens pas, dis vrai, Angelo ; dis que Dieu m’aime et que je vivrai longtemps, bien longtemps…

Angelo

Oui, sire, le firmament m’est ouvert comme un livre ; et tandis que les autres dorment sur les terres, mes nuits se passent au ciel, où j’observe l’avenir comme un cadavre qui serait déjà mort.